Journal d'une boulimique.

Parlons de boulimie.

Je relisais mes premiers écrits, dont un où je parlais de la boulimie. Comment ai-je pu en arriver là ? Comment c’était avant  ? Avant la maladie, je faisais comment ? Je voudrais savoir. Comprendre.

Je me souviens que les premières fois se sont passé en Suisse pendant les grandes vacances. Avant mon entrée en 4e année. En 2007 donc. Je voulais perdre du poids. Je me trouvais trop grosse. Personne ne pourrait jamais m’aimer si j’étais aussi grosse. J’étais en conflit constant avec mes parents. Surtout avec ma mère.
Et les vacances sont passées. Je me faisais vomir de temps à autre. Pas grand chose. La rentrée est arrivé et il y a eu cette soirée. Ma première cuite. J’étais sortie avec un gars plus âgé que moi. Il avait 20 ans, j’en avais 15. Je le connaissais depuis toujours. J’avais confiance. Il m’a fait boire au pastis. Il m’a amené dans sa tête. Je pensais qu’il ne s’était rien passé, mais je n’en étais pas sûre. Il m’a abandonné seul au milieu du camping. Des filles plus âgé que moi de l’école m’ont retrouvé et m’ont ramené près de mes amis. On a du appeler mon père. Un ami m’a mis dans une tente et me foutait des gifles toutes les minutes pour être sûre que je respire.
Je ne me souvenais de rien. Tout ce que je pensais c’était : "Si j’étais moins grosse, il ne m’aurait pas abandonné au milieu du camping." Cette pensée tournait sans cesse dans ma tête. Détruisant petit à petit le peu d’estime que j’avais de moi.
Un peu après, je me suis disputée encore une fois avec mes parents. Je ne sais plus pourquoi. Je me souviens m’être regardé dans le miroir, en pleure, me trouvant encore plus horrible que d’habitude et d’avoir pensé très fort cette phrase : "Je deviendrai boulimique, juste pour les emmerder." C’est là que tout à vraiment commencer.
Ce dont je ne me rendais pas compte, c’est que ça n’était pas leur vie que j’allais gâcher, mais la mienne.

Les mois se sont succédé. Je vomissais de plus en plus, sans pour autant maigrir. Au contraire, je grossissais. Pas beaucoup, mais assez pour que cela me déprime encore plus. Petit à petit, ça devenait une habitude. Une envie irrépressible de manger me prenait, je me ruais sur la nourriture et puis je me faisais vomir.
Je devenais de plus en plus agressive, exécrable et impulsive. Je me renfermais un peu plus chaque jour. Mes parents voyaient que quelque chose n’allait pas, mais ne savait pas dire exactement quoi. Environ 6 mois plus tard après la rentrée, ils ont tout découvert. Moi, j’étais à bout. Quand ils m’ont demandé si je me faisais vomir, j’aurai pu leur mentir. Leur dire que tout allait bien. Tout aurait pu encore plus mal tourné. Le déni. J’aurai pu finir enfermée. Ils m’ont forcé à aller voir une psy. Conseillée par la mère de mon meilleur ami. C’est d’ailleurs toujours celle que je vois actuellement. Il lui a fallu bien 6 mois je pense, avec deux rendez-vous par semaine (c’était soit ça, soit je savais que mes parents avaient pensé me mettre en centre s’ils ne voyaient pas d’amélioration) pour que j’arrive enfin à lui parler de cette soirée. De ce qui s’était passé. De ce que j’avais ressenti. Encore aujourd’hui, je n’arrive pas à lui parler librement de ce que je ressens. Surtout sur la boulimie.

La boulimie est une maladie vicieuse. C’est quelque chose de honteux. Je ne peux pas avouer aux gens que je peux manger un pain en entier en 20 à 30 minutes de temps. Je ne peux pas leur dire que je ne sais pas ce que veux dire "manger normalement". Je ne peux pas leur avouer que j’appréhende chaque repas. En me demandant si cette fois-ci j’arriverai à me contenir et à ne manger que ce dont j’ai besoin. Je ne peux pas expliquer que je ne sais jamais si ce que je ressens est la sensation de faim ou la sensation de manque. Car oui, la nourriture est une drogue. Une drogue atroce, car on ne peut pas s’en passer et il faut arriver soi-même à contrôler ses "doses".
Maintenant, il est vrai que je ne suis plus au même stade de la maladie qu’avant. Les repas se passent mieux. Surtout les repas à l’extérieur. J’ai peur du regard des autres sur ce que je mange et j’arrive donc en général à me contenir. De plus, si je passe une bonne soirée, je ne me focalise pas sur la nourriture et ça peut donc être plus facile. Les repas les plus dur sont ceux que je dois prendre toute seule et ceux en famille restreinte. Je crois qu’ils savent tous quand je fais une crise, mais n’ose plus rien me dire. Après tout, je me soigne et je suis grande. Ils savent que toute remarque sur la nourriture me crispe et me rend hargneuse. Alors ils évitent.

Après cette première consultation, les progrès ne sont pas apparu tout de suite. Il a fallu le temps. Et il y avait des hauts et des bas. Fin de ma 4e année, j’arrivais à m’accepter un peu plus. A me dire que je n’avais pas besoin des autres pour me sentir aimée et que je pouvais très bien être forte toute seule. Un mois ou deux après, j’ai rencontré Johan. Mon premier copain, ma première fois. Je ne pense pas que j’étais véritablement amoureuse de lui. Mais j’étais bien. Il m’a fait apprendre à m’accepter. Il m’a soutenu. Et puis ça s’est fini. Ca n’était pas facile, mais en étant avec lui, j’avais réussi à retrouver une alimentation "normale". Quand il m’a quitté, je n’ai pas recraqué. Il m’avait réellement fait du bien. Il ne m’avait pas détruite. Il ne m’avait pas fait de sale coup. Il m’avait aimé et c’était fini. C’était tout. Mais je savais que tout ce qu’il m’avait dit, il l’avait pensé et le pensait sûrement encore.

J’ai fini par recommencer à vomir quelques mois plus tard, suite à un autre gars. Oui, ma vie ne se résume quasiment qu’à des déceptions amoureuses. Parfois je me dis que c’est pathétique, et d’autres fois je me dis que non. L’amour, c’est important, car c’est ce qui te permet d’être heureux. Du moins c’est ce que je pense et je voudrais arrêter de me dire que c’est stupide, pitoyable, etc. Tout le monde fait de sa vie ce qu’il en veut.
Bref, il m’a fallu 8 mois pour réussir à l’avouer à ma psy, que j’avais replongé. 8 mois pendant lesquels je lui ai menti en lui disant que j’allais super bien, que je ne vomissais plus. Elle espaçait de plus en plus les séances. Chaque fois avant d’y aller j’hésitais entre continuer mes mensonges ou craquer. Et un jour où j’étais décidée à ne pas craquer, j’ai pleuré pendant plus d’une heure dans son bureau.
La boulimie, c’est l’horreur. C’est un fléau qui te poursuit et qui ne te lâche pas. On ne peut pas l’ignorer et pourtant on ne rêve que de ça. Ta vie tourne autour de ça. Tu organises ta journée en fonction de la nourriture. Tu ne peux pas aller chez quelqu’un parce que tu as prévu depuis le matin de te faire une crise en rentrant, que tu n’as pas manger de toute la journée pour pouvoir t’empiffrer en diminuant un peu ton seuil de culpabilité. C’est un poison, une ennemie sournoise et pernicieuse qui n’hésitera pas à te donner le coup de grâce dès que tu baisses un peu tes défenses.

J’ai donc continué ma vie cahin-caha, avec des hauts et des bas. Et puis Yoann est mort. Ca m’a fait un électrochoc. Je me souviens être au téléphone avec mon père qui tentait de décoder ce que je lui disais au milieu de mes sanglots et de lui dire que c’était fini ces conneries, que je ne toucherai plus un cutter et que je ne vomirai plus. La vie était trop précieuse. Yoann ne l’avait pas réalisé. Je voyais le mal que ça faisait pour ceux qu’il laissait et je ne voulais pas faire pareil. Je ne voulais pas finir écrasée en bas d’un immeuble.
Le retour a été difficile. On était tous un peu dans la même galère. On réagissait tous à notre façon. Certains se noyaient dans le travail et d’autres, comme moi, sortait de plus en plus pour pouvoir oublier ça. Matthieu m’a beaucoup aidé. On s’est mis ensemble. Mais quand je repense à notre relation, tout ce qu’il m’a appris, c’est à ne plus pouvoir vivre sans lui. C’était mon premier amour. Et même si aujourd’hui il veut que l’on reste ami, je sais très bien que ça ne sera pas possible. Ce que j’ai ressenti pour lui était trop fort. Encore maintenant, même si je ne l’aime plus, même si je ne veux pas me remettre avec, quand on ressort ensemble pour une nuit, quand il me cale dans ses bras, je ressens le bonheur, le bien-être que j’avais avec lui. Dans ses bras, j’ai l’impression que tout est possible, que tout est facile.
Je me suis tellement reposée sur lui, avec la mort de Yoann, mes cicatrises sur le bras et ma boulimie, que la rupture fut catastrophique. Le bonheur que je vivais me semblais irréel, mais vivre sans lui me semblait impossible. Il me faisait me sentir jolie, unique et l’essentielle. Même ses crises de jalousie me faisait me sentir bien. Il m’avait enchainé à lui. Toute ma vie tournait autour de lui.
Quand ça a été fini, ça a été presque automatique : j’ai recommencé à vomir. Je buvais trop. J’ai commencé à coucher avec n’importe qui. Tout ce qui pouvait me donner un peu de chaleur, d’attention et qui me le faisait oublier pendant ne serait-ce que quelque seconde, je prenais.
Ma première année d’université a été une des pires années de toute ma vie. Je finissais par m’ouvrir le bras tous les jours, par vomir tout ce qui rentrait dans ma bouche, par faire des régimes complètement insensé où je ne mangeais que du yaourt 0% pour finir par perdre 10kilos. Que j’ai évidemment repris.
J’ai toujours mal lorsque je repense à ces moments où je me réveillais, perdue, voulant appeler Matthieu, voulant le voir croyant que nous étions toujours ensemble. Après ces quelques minutes d’égarement, la vérité me revenait en pleine face et me tordait atrocement le coeur.

J’ai survécu à cette période tant bien que mal. Je me suis un peu ressourcée pendant les vacances, qui n’ont pas vraiment été les plus heureuses de ma vie. Je me suis reconstruite petit à petit. J’ai réappris à vivre seule. Mais depuis, je sais que je recherche à nouveau ce bonheur que j’ai peur de ne plus jamais pouvoir retrouver.
Je vomis encore. Des passes où ça va et des passes où ça ne va pas. J’ai l’impression que maintenant cela fait partie entièrement de ma vie. Il m’arrive même de banaliser la chose et de me dire qu’il n’y a aucun mal à se faire vomir si cela ne me rend pas mal. Je sais bien qu’à chaque fois que je pense cela, je finis par être mal. Je recommence à vomir régulièrement. Plusieurs par jour. Au début, je m’en fou. Mais ensuite ça devient nécessaire, ça commence à m’obséder. Je ne pense plus qu’à ça et j’en deviens presque folle. La boulimie commence alors à me détruire à nouveau. Pour la millième fois.

La boulimie, cette maladie qui me ronge, me semble un obstacle à toute relation stable. De plus en plus. Avant, j’étais en pleine crise d’adolescence. J’étais jeune, mal dans ma peau, etc. Maintenant, je commence à devenir adulte. Ou je suis censée commencer à devenir adulte. Et je suis toujours boulimique. J’ai toujours un problème avec les rapports à la nourriture. J’ai souvent entendu dire que les boulimiques étaient des personnes qui avaient peur de grandir. Je pense que c’est vrai. Devenir adulte, ça me fait peur. J’en fais même parfois des cauchemards. Je me suis toujours dit que je ne vivrai pas plus vieille que 30 ans parce qu’après, la vie me semblait chiante. Après tes études, tu fais quoi ? Metro-boulot-dodo ?
Je me vois mal entamer une relation avec quelqu’un qui finirait bien par se rendre compte que sa copine à un sérieux problème de bouffe. Alors qu’elle a 20 ans, elle ne sait toujours pas gérer ce qui est élémentaire pour la majorité des gens. Ca me fait sentir stupide et dénuée d’intérêt.

Je voudrais pouvoir un jour vaincre la maladie. Pouvoir dire "j'étais boulimique, mais maintenant c’est fini. Non, ça n’était pas facile, mais je m’en suis sortie." Là, à mes yeux, je deviendrais réellement adulte.
Je ne suis pas prête maintenant, je le sais, je ne suis d’ailleurs pas capable de vivre seule, cela me déprime tellement que je finis par vomir encore plus. La solitude peut être un poison si elle n’est pas bien entretenue.
Je voudrais, un jour, dire que je suis guérie. Le gueuler haut et fort à tout le monde, n’importe où. Dire que tout ça est derrière moi. Ma plus grande joie serait de la vaincre toute seule, sans l’aide de personne, mais je ne sais pas si j’en suis capable.
J’ai la rage de vaincre. J’ai la rage de vivre. J’ai la rage de m’en sortir. J’ai juste peur de me lasser un jour de tous ces combats et de me laisser aller.