"Avec ma guitare à la main, je n'ai peur de rien"
Quand j’avais 15 ans, je me suis rendue à un festival près de chez moi. J’étais très saoule et je suis sortie avec le fils du meilleur ami de mon père, Thomas, qui avait 20 ans à l’époque. J’ai bu du pastis avec lui, puis il m’a amené dans sa tente. J’ai vaguement le souvenir d’un de ses potes qui tape sur la tente et qui sort Thomas de là, mais sinon, c’est le trou noir.
Apparemment, des filles de mon école m’ont retrouvée inconsciente dans le camping. Elles m’ont amené à mes amis qui ont tenté de me maintenir un maximum éveillé, pendant qu’un gars appelait mon père pour qu’il vienne me rechercher. J’avais toujours le pull de Thomas.
Il était chef au mouvement de jeunesse dans lequel j’étais. Et tous les samedi, pendant plusieurs mois, lui et ses copains venaient me dire que j’étais une traînée et me faisaient des blagues salaces auxquelles je n’arrivais pas à répondre. J’étais toujours vierge, et je n’avais aucun souvenir de ce qu’il s’était passé dans cette tente.
Pendant des mois, je me suis regardée devant une glace en me disant que si je n’avais pas été aussi grosse, Thomas ne m’aurait pas abandonné au milieu du camping. Si je n’avais pas été aussi grosse, lui et ses amis auraient arrêté d’être méchants avec moi. Si je n’avais pas été aussi grosse, rien de tout ça ne serait arrivé. Plus je me regardais, plus je me trouvais immonde, plus je me détestais.
J’ai commencé à me scarifier pour que la douleur arrête d’être seulement mentale, pour que la douleur me semble plus réelle, pour que je puisse la visualiser. Pour que je puisse au moins un minimum la contrôler. Aujourd’hui, ce sont toujours ces marques que l’on peut observer sur mon avant bras gauche. Elles sont toujours là, bien visibles et elles ne disparaîtront sûrement jamais. Comme les autres cicatrices faites par ces évènements.
J’ai peut-être déjà raconté cette histoire sur ce journal. Je ne sais plus. Je n’avais pas envie de fouiller dans mes souvenirs aujourd’hui. J’avais envie, j’avais besoin d’à nouveau coucher cette histoire sur "le papier" et d’arrêter de faire comme si aujourd’hui ça ne me faisait plus rien. Je me souviens encore de ce que je portais ce soir-là. De ma coupe de cheveux. De la honte. De la peur.
Thomas est venu à la soirée à laquelle j’étais hier. Rien de bien banal, je le croise souvent. Nous habitons la même région, fréquentons les mêmes cercles. Mais quand je l’ai vu, je me suis raidie. Il était accompagné d’un de ses amis qui était le plus dur avec moi à l’époque.
Quand je les ai vu tous les deux, je me suis demandé s’il savait. S’ils savaient que, aujourd’hui encore, je me bat contre la boulimie, maladie qui est devenue omniprésente suite à ces évènements. Je me demande s’ils se souviennent de ça à chaque fois qu’ils me voient, comme je le fais moi. Je me demande s’ils se rendent compte du mal qu’ils m’ont fait.
Thomas peut-être. Parce qu’après quelques mois, je venais de commencer à voir ma psychiatre, je suis allée le trouver à une soirée, complètement bourrée, en lui disant que j’étais boulimique depuis ce festival et que c’était de sa faute, à lui et ses copains. Que je voulais qu’ils arrêtent, parce que je n’en pouvais plus, parce que j’étais épuisée. Après cela, les remarques ont diminué pour finir par disparaître totalement. La soeur de Thomas est anorexique. Je pense qu’il a donc fait le nécessaire pour que ses copains se calment. Le mal était cependant déjà fait.
Je ne dis pas que Thomas et ses copains sont responsables. Un autre évènement aurait pu déclencher la boulimie. Ca n’était pas la première fois que je me faisais vomir. Les crises sont juste devenues omniprésentes suite à ce festival. J’étais fragile à l’époque. Je buvais beaucoup trop. Je n’avais aucune confiance en moi. Il a été un élément déclencheur. Est-ce vraiment de sa faute ? Je ne sais pas si j’ai le droit de lui en vouloir.
Les gens ne savent pas à quel point ils peuvent affecter la vie des autres. Nous devrions cependant en avoir tous conscience afin d’éviter de blesser plus fort qu’on ne le voudrait.
Je vois toujours ma psychiatre et la psychologue. J’ai fait ma première séance d’hypnose jeudi passé. Tout s’est bien déroulé. Je vomis beaucoup mois. Je n’ai pas vomis une seule fois pendant un mois entier. Et depuis le début du mois de février, je n’ai vomis que quatre fois. J’avance petit à petit. Mais j’avance.