Lettre à ma psy.
Bonjour,
Voici un peu de nouvelles de mon séjour à Dublin. Comme vous pouvez vous en doutez, je ne fais presque que réfléchir ici (tout en apprenant l’anglais, bien entendu). Je réfléchis beaucoup à qui suis-je, ce que je veux réellement faire dans ma vie, au monde qui m’entoure et, bien évidemment, à ce que j’attend en ce qui concerne les garçons.
Je dois vous avouer que je suis assez perdue en ce qui concerne toutes ses réflexions. Pour ce qui est de ce que je veux faire dans ma vie, je crois qu’un travail dans le social est vraiment ce qu’il me faut. J’ai besoin de me sentir utile dans notre société. J’ai besoin de faire un travail qui ne me semble pas vain, même s’il ne permettra que d’apporter une aide concrète qu’à une personne par an. Je me dis que si je ne faisais pas ce travail, cette personne n’aurait peut-être jamais pu être aidée. Cependant, l’avenir du social en Belgique semble extrêmement compromis et je ne vois vraiment pas ce que je pourrais faire d’autres, car, j’en suis sûre, c’est vraiment cela que je veux faire. J’ai donc introduit une demande en France pour pouvoir y passer mon équivalence de diplôme, car il y aurait plus de travail. Comme j’aime le soleil, j’ai introduit ma demande à l’île de la Réunion. :) J’attend donc la réponse. Ca n’est rien de vraiment officiel. Je ne sais pas encore si c’est que je veux réellement faire, mais je me suis dit que ça ne me coûtait rien d’introduire cette demande et que ça me permettrait de m’ouvrir une autre opportunité.
Pour ce qui est de ma vision du monde, j’en suis arrivée à la conclusion que je déteste et suis dégoûtée au plus au point de notre société. Ce dégoût ne fait qu’augmenter avec les nouvelles mesures entreprises par notre gouvernement. Je me sens impuissante face à cela, de plus j’ai souvent des difficultés à comprendre tous les enjeux et mécanismes politiques, ce qui a le don de m’énerver. Par moment, cela m’angoisse. Mais je gère beaucoup mieux mes crises d’angoisse qu’avant. Petite parenthèse, mais merci à vous pour cela ! Je ne sais même plus à quand remonte ma dernière grosse crise d’angoisse. Dès que je sens que cela arrive, j’arrive à relativiser la situation et à me calmer en quelques secondes. Bref, notre monde est pourri. Et je me suis rendue compte que le fait d’être devenue assistante sociale m’aide à mieux supporter cela par le fait que je me sens moins impuissante. J’ai l’impression d’agir à l’amélioration du monde ou en tout cas, je contribue à tenter de le rendre plus vivable pour certaines personnes.
En ce qui concerne qui je suis, je vous avoue que je suis assez perdue. Quand j’étais ado je me décrivait principalement comme étant musicienne. C’est ce qui me caractérisait le mieux. Mais aujourd’hui, je ne sais pas. Je ne me sens pas assistante sociale parce que je ne travaille pas comme tel. J’ai encore énormément de problème avec la vision que j’ai de moi. Et la première chose à laquelle je pense quand j’essaye de me décrire, c’est la boulimie.
La boulimie. Mon sujet tabou. Je n’en ai encore rien dit et j’ai pourtant déjà les larmes qui me montent aux yeux. Et vous savez très bien que, si j’étais en face de vous, je ne vous en parlerai pas. Moi qui peux parler de tout avec tout le monde, c’est bien le seul sujet à propos duquel je peux complètement me braquer. Vous le savez mieux que personne.
Aujourd’hui, j’ai envie d’en parler avec vous, parce que je pense qu’il est temps que je prenne le taureau par les cornes et que j’essaye de m’en sortir. Je vomis quand même beaucoup moins que lorsque j’étais adolescente, mais cela reste toujours entre 1 à 3 fois par semaine en moyenne. Plus souvent la semaine que le week-end.
Je crois savoir d’où cela vient. Lorsque j’étais à l’école maternelle et primaire, je me suis toujours fait insultée de grosse par les autres élèves. Depuis ce temps là, j’ai toujours été très gênée par mon poids. Ma mère m’a envoyé voir de nombreuses diététicienne, sans grand résultat. La plupart disait que mon poids allait se réguler avec ma croissance. Et ils avaient raison parce que lorsque je vois les photos de moi ado, je ne me trouve pas du tout grosse. Je n’étais pas mince, mais pas grosse non plus. Pourtant, je me souviens qu’à l’époque, je me trouvais obèse. Je n’étais pas assez bien. Pas assez jolie. Trop grosse. Mais je n’arrivais pas à arrêter de manger et donc je culpabilisais, je prenais un kilo et c’était le drame. Je me souviens avoir perdu 5 kilo en un mois parce que je ne mangeais presque plus. Et puis après, j’ai recommencé à manger et j’ai tout repris, voire plus. Je me souviens que la première fois que je me suis fait vomir, c’était en Suisse, en vacances avec mes parents. Je voulais perdre du poids, mais je n’arrivais pas à faire de régime. J’étais gênée de me mettre en maillot devant les autres ado. Et je me souviens surtout, de ce jour où tout s’est enclenché, où je me suis disputée avec mes parents, j’avais 15 ans, à propos de je ne sais plus trop quoi. Je me suis regardée en pleures dans le miroir et je me suis dit que j’allais devenir boulimique, que ça les ferait souffrir et que cela sera bien fait pour eux. Environ six mois plus tard, mes parents ont découvert la chose et je suis venue vous voir.
Au final, j’ai réussi : je leur ai fait beaucoup de mal, même si au fond, c’est moi la première victime de cette décision plus que stupide.
J’ai l’impression que c’est comme une drogue. C’est devenu un mode de vie. Mon mode de vie. Je suis boulimique depuis environ 7 ans. Et même si je vous ai dit plus haut dans le texte que je voulais m’en sortir, je n’y crois pas. Je pense que, au point où j’en suis dans cette putain de maladie, je ne pourrais jamais m’en débarrasser. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Il est vrai que je gère mieux la boulimie maintenant que lorsque j’étais ado. Et j’ai des moments de répits. Il m’est déjà arrivé de pouvoir manger sans me prendre la tête, sans abuser de la nourriture. Dans ces moments là, je perds même du poids sans m’en rendre compte. Je ne me sens jamais aussi bien que dans ces moments là. Ils ne sont cependant généralement que de courtes durées. Malheureusement. J’en suis arrivée à me dire que je serais toute ma vie comme ça et que, au final, ça ne devait pas être si grave que ça, non ?
Le problème, c’est que je me rend bien compte que cela a un énorme impact sur mon caractère. Cette semaine a été très éprouvante niveau contrôle de la nourriture (on peut plutôt dire que j’ai complètement perdu le contrôle) ce qui m’a rendu agressive avec toutes les personnes qui m’entouraient. Je me suis donc enfermée dans ma bulle et je n’ai vu presque personne pendant une semaine. Cela a également un énorme impact sur la vision que j’ai de moi-même. J’accepte mieux mon corps que lorsque j’étais adolescente, mais je rêve toujours de perdre du poids. Et cela m’épuise. Si un garçon me dit qu’il n’est pas intéressé, je pense toujours que c’est parce que je suis trop grosse. Et je me dis que si j’étais mince, il serait sorti avec moi. Et puis surtout, cela m’angoisse pour le futur : comment pourrais-je avoir un enfant et le nourrir correctement alors que je n’arrive même pas à gérer mes propres repas ? ? Je n’ai pas envie qu’il me déteste comme j’ai détesté ma mère (alors que ça n’était pas de sa faute, elle a essayé de tout faire pour que je me sente bien dans ma peau et ne m’a jamais fait de remarques sur le fait que j’étais trop grosse). Comment pourrais-je recommencer une nouvelle relation avec quelqu’un sans lui parler de ça ? Et je n’en ai pas envie. J’ai tellement honte. Je me sens tellement stupide. Mais surtout, les gens ne comprennent pas.
Si je mange, c’est parce que j’ai besoin de combler ce vide en moi. J’ai lu dans plusieurs articles que, en ce qui concerne la boulimie, la nourriture sert à combler un manque. En ce qui me concerne, c’est un manque d’affection. Je suis perpétuellement en manque d’affection. C’est très épuisant. Et je ne comprend d’où cela vient. J’ai deux parents qui m’aiment et qui me l’ont toujours montré. Parfois à leur façon, mais je n’ai jamais douté qu’ils m’aimaient. Ma mère déborde d’affection pour nous (parfois même trop). Je ne comprend donc pas d’où vient ce manque qui parfois me bouffe complètement. Il est vrai que je suis la plus indépendante de la famille et que j’ai pris très à cœur mon rôle d’ainée : on ne se plaint pas, on gère ses problèmes toute seule et on laisse papa et maman tranquilles parce qu’ils ont des choses plus importantes à faire. J’ai toujours eu du mal à parler de mes problèmes à mes parents et aujourd’hui, c’est encore dur, même si j’essaye de me forcer plus à m’ouvrir à eux quand j’en ai besoin. Et ils ont toujours été disponibles pour moi pour discuter, mais j’ai toujours tout fait pour faire échouer ces conversations. Ils ne m’ont jamais imposé ce rôle d’ainée. Mais cela n’explique pas pour moi d’où vient le manque d’affection. Il est vrai que quand je suis en couple, mes crises sont beaucoup plus espacées. Mais je ne peux pas régler ma boulimie par le fait d’être en couple.
Et puis, j’ai tellement parfois l’impression de ne pas en valoir la peine. De ne pas valoir la peine d’être connue et que personne n’a envie de voir la personne vraiment chouette que je suis. Cela me rend vraiment triste. Je me dis parfois que c’est parce que je suis trop grosse. Encore. Je voudrai tellement me sortir ça de la tête, revenir à ce jour où je me suis jurée de devenir boulimique et me foutre une bonne gifle pour m’enlever cette stupide idée de la tête. Je me sens tellement seule avec tout ça. Je ne sais pas comment en parler. Et je me dis souvent qu’en fait, il n’en a rien à dire. Quand je me sens mal par rapport à la boulimie, j’ai tendance à éviter les gens pour ne pas leur en parler parce que je ne sais pas comment expliquer. Je veux dire, quand les gens ne vont pas bien, ils ont généralement une bonne raison : une mauvaise nouvelle, une mauvaise nuit, le mal du pays, etc. Moi, quand je ne suis pas bien, je ne me vois pas dire aux gens : “c’est la boulimie. Ca m’épuise et je me sens perdue par rapport à comment je dois faire pour gérer tout cela.” J’ai déjà essayé. La plupart ne sait même pas ce qu’est exactement que la boulimie et donc pense qu’il suffit juste que tu te décides d’arrêter, car après cela ira mieux. Ou alors ils ne savent pas quoi dire et j’ai l’impression que mon cas est perdu d’avance, je me sens comme découragée et encore plus seule qu’avant. Je déteste ce sentiment de solitude. Je déteste que la boulimie me définisse. Je déteste que cela ait autant d’impacts sur ma vie.
J’ai souvent imaginé que quelqu’un viendrait me “sauver” de cette situation. Mais les quelques personnes qui ont essayé, je les ai repoussé. Et je sais que il n’y a que moi-même pour me sortir de là. C’est difficile d’expliquer la souffrance ressentie dans ce genre de moments, parce qu’il n’y a aucune raison particulière. Je voudrais juste quelqu’un sur qui je peux compter, qui ne va pas essayer de régler mon problème, mais qui me dira juste qu’il est là. Mais pour cela, cela veut dire qu’il faut s’ouvrir et je ne suis pas sûre d’être prête pour ça.
Je suis effrayée à l’idée de me remettre en couple avec quelqu’un. J’ai réfléchi à la contradiction entre le fait de vouloir une relation stable et d’être attirée par des êtres instables. La stabilité me faire peur, car je n’arrive pas à m’imaginer en couple, mariée, avec une maison et des enfants. Pour moi, cela représente une vie plus que ennuyeuse. Techniquement, je sais que cela n’est pas vrai, mais je ne suis pas prête pour ça. Et je ne sais pas comment je pourrais tenir une maison, élever des enfants avec la boulimie. Je ne serais pas un bon exemple pour eux et j’ai l’angoisse que mes enfants deviennent également boulimique ou anorexique. Je ne me le pardonnerai jamais si cela devait arriver.
Bref, je suis coincée. J’ai l’impression que j’ai besoin d’un homme pour me sortir de la boulimie, mais je ne saurais pas m’engager avec quelqu’un à cause de la boulimie. Je me sens prise au piège et je ne sais pas comment faire pour en sortir.
Je sais que j’ai besoin d’arriver à m’accepter, mais c’est tellement difficile. Je suis beaucoup trop sensible. Un rien me fait mal et je déteste être comme ça. Les gens ne comprennent également pas ça. Ils ne comprennent pas pourquoi je fais parfois une montagne d’une toute petite chose alors qu’il suffit juste de ne pas y penser. Alors j’évite maintenant de parler de ce genre de choses. Mais ça ne m’empêche pas de souffrir intérieurement et je ne sais pas comment faire pour m’endurcir.
Voilà. C’est à peu près tout ce que j’ai dans ma tête pour le moment. Je suis désolée si certaines choses ne vous semblent pas très claires, mais c’est vraiment difficile pour moi d’expliquer tout cela. Mais je pense qu’il est maintenant temps que je travaille sur la boulimie qui est à l’origine de nombreux de mes problèmes.
N’allez pas croire que ma vie ici est atroce : je m’amuse bien et mon anglais s’améliore. J’ai d’ailleurs changé de niveau ! C’est juste que j’ai beaucoup de temps libre et donc beaucoup de temps pour penser. En Belgique, j’évite de m’accorder trop de temps pour réfléchir, je voulais donc me trouver une activité ici en Irlande pour m’éviter de penser, mais je pense que cela peut être extrêmement bénéfique pour moi. Il est temps que j’arrête d’éviter le sujet de la boulimie et que je l’affronte. Ce sont des moments qui sont peut être dur à passer, mais je pense avoir besoin de temps pour ça et l’Irlande est justement un bon endroit pour entreprendre cette réflexion épuisante, car je ne suis pas soumise à du stress et j’ai du temps pour me reposer ainsi que des amis avec qui je peux me changer les idées. Qu’en pensez-vous ?
En ce qui concerne Chris : je n’en suis plus amoureuse. J’ai eu la révélation il y a deux trois semaines. Je pense que cela fait longtemps que je ne suis plus amoureuse de lui en fait. Je me suis juste accrochée à un idéal pour m’empêcher d’avancer parce que je suis vraiment effrayée quant à rencontrer quelqu’un qui me plaît et à côté de ça, j’ai mon sentiment de solitude. C’est épuisant d’être à ce point contradictoire.
Je pense que j’ai fini pour aujourd’hui. Je pense que je vous ai écrit un assez long roman.
A bientôt.
Callie.