Journal d'une boulimique.

Dans ma salle d'attente, je suis seule, il n'y a pas d'autres blessés graves avec du sang qui coule pour me rassurer. J'ai très mal au ventre et personne ne me soigne.

J’ai craqué chez ma psy. Je lui ai avoué que je lui mentais depuis presque 9 mois. Depuis Cyril, en fait.
Elle dit qu’il faut que je me batte, que j’arrive à me sentir bien pour moi-même et non pour les autres, mais je n’en peux plus. Je suis fatiguée. Fatiguée de me battre. Fatiguée de manger, de ne pas manger, de réfléchir, de faire semblant que tout va bien. Je suis épuisée.
Elle veut que je refasse une prise de sang pour vérifier si tout n’es pas complètement déréglé. J’ai des vertiges. Je ne me sens pas bien, mais essayer de m’en sortir me semble long et fatigant. Je n’ai pas le courage ni la force de m’entraîner là-dedans. C’est tellement plus simple de se laisser aller et d’attendre que ça passe. Je vais attendre que cela passe et si ça ne passe pas, au pire, j’en crève. Rien de bien très grave, en somme. Tout le monde finit bien par mourir un jour. Peut-être certaines personnes plus tôt que d’autres, mais c’est comme ça.
Margaux, cette pute, vient de venir me trouver via msn. Je tenais à te dire que tout le monde n’arrête pas de me parler de toi et Jérémie, mais sache que ça ne me regarde pas. Je ne comprend pas pourquoi ils me parlent tant de vous deux. Je sais ce qu’elle cherche à faire, à me prouver que quoi que je fasse avec son ex, elle le saura. Pauvre conne. Quand elle reviendra celle-là, qu’elle ne vienne même pas m’adresser la parole ou c’est ma main qu’elle recevra dans sa figure. Je suis sûre qu’elle s’attendait à ce que je lui réponde Je sais, mais ne te tracasse pas, il ne se passe rien entre lui et moi. Ce qui est, soit dit en passant, la stricte vérité, mais je ne voulais pas lui faire plaisir.
Je crois que je vais la faire, cette prise de sang. Comment sans alerter mes parents ? Ils ne sont au courant de rien, bien entendu, et ça n’est sûrement pas moi qui vais leur annoncer. Ils vont croire que c’est de leur faute. Mon problème avec la nourriture, il a commencé déjà vers 6 ans, quand ma mère m’interdisait de manger certaines choses parce que j’étais en surpoids, me condamnant à regarder mes soeurs s’empiffrer sans aucunes remarques de cette dernière. A 11 ans, je voyais déjà une diététicienne. En tout, j’en ai déjà rencontré au moins 5. Aujourd’hui, j’en aurais peut-être bien besoin, mais je crois que ça ne me servirait à rien. Les règles, je les connais par coeur : ne pas manger en dehors des repas, équilibré, pas trop gras, fruits et légumes et blablabla. Facile en théorie. Mettez ça en pratique quand vous êtes boulimique.
JE SUIS FATIGUEE ! Je sais, cette phrase doit devenir lassante à force de la lire. Mais tout ceci est mentale. Je suis épuisée de devoir sourire, de pleurer, de rire, parfois même de vivre. J’ai de belles entailles sur le bras. Comment faire disparaître tout ça ? Pas facile. Surtout lorsque je joue volley et que mon coach me demande de lui montrer comment je fais une manchette, les avants bras bien tendu devant sa figure. Jusqu’ici, j’ai réussi à esquiver assez rapidement pour espèrer qu’il ne remarque pas les lignes rouges dessinées sur mon avant bras gauche. Heureusement, nous sommes en hiver et donc les t-shirts ne sont pas encore sortis de l’armoir et, au printemps, il n’y aura plus que des lignes blanches. Visibles, mais moins tape à l’oeil que ces ouvertures. Ce ne sont pas les premières et sûrement pas les dernières.
Ca faisait un bail que je n’avais plus pleuré autant. Je n’aime pas ça. Je me sens encore plus fragile qu’avant.

Titre : Frederic Beigbeder, L’amour dure trois ans.