Journal d'une boulimique.

Retour en arrière

Je suis en train de relire mon journal. Parfois je rigole. Parfois j’ai les larmes qui me montent aux yeux. Je me rappelle à quel point je me sentais mal à cette époque. Je me souviens des douleurs incessantes, de ses angoisses. Je ne contrôlais rien de ma vie. Je faisais n’importe quoi. Je buvais trop. Je vomissais beaucoup trop. Et surtout, je m’attachais trop. Je m’attachais à tout ce qui était envisageable.

Et maintenant, je comprend, je sais d’où viennent toutes ces émotions lancinantes. Je comprends. Je me comprends. Et je m’accepte. Pas encore complètement, mais beaucoup mieux qu’avant.

Je me souviens de cette boule au creux de ma poitrine qui ne cessait de grandir. Alors je mangeais pour essayer de combler le vide, pour tenter de la faire taire. Et je vomissais espérant la vomir avec. Mais c’était juste pire de jour en jour.
Tout ça pour un manque d’amour. Je me suis toujours sentie mal aimée. Seule au monde. Cela doit probablement venir de mon enfance lors de laquelle les copains que je pouvais avoir ne se comptait même pas sur une main. Lors de laquelle les autres élèves n’ont fait que m’insulter de "grosse vache" et autres réjouissances.
Depuis cette période, je n’ai jamais cru qu’on pouvait m’aimer. J’ai toujours pensé que ma mère ne m’aimait pas. Mais elle se tracassait juste pour moi parce que j’étais incontrôlable. Tout comme elle. Et moi je la détestais. Je la haïssais même. Cette femme qui me ressemblait tellement. Aujourd’hui, ma mère et moi avons toujours des conflits. Nous ne sommes pas toujours d’accord sur tout et j’ai encore des difficultés à pouvoir être proche d’elle. Cependant, nous rigolons beaucoup plus ensemble et j’ai plus facile à me confier à elle. Je l’admire même. Cette femme qui a réussi à élever cinq enfants en gardant un emploi à temps plein. Qui a réussi à tenir une maison tout en apprenant à ses enfants des valeurs dont je suis extrêmement fière.
Mon père, c’est plus compliqué. Il a toujours été mon Dieu. Nous sommes nés le même jour. C’est MON père. J’ai toujours eu l’impression que nous étions liés. J’ai hérité de ses angoisses et de ses névroses. De son goût pour la musique également. Mon père, ce héro. Cependant, ces derniers temps, nos relations sont plus tendues. J’ai toujours l’impression que mon père n’est pas heureux et cela me rend extrêmement triste. De plus, il a l’art de me faire culpabiliser. Je déteste ça. En plus, ça fonctionne à chaque fois. J’ai hérité également de son extrême sensibilité.

Quand je me souviens de tous ces garçons auxquels je me suis attachée, je me rend compte que rien de tout ça n’a été de l’amour. Je me sentais tellement seule, j’étais tellement mal que j’avais besoin que quelqu’un m’aime. J’avais besoin de quelqu’un sur qui je pourrais me reposer, car je ne croyais pas en moi. Je me détestais. Je me trouvais stupide, moche et énorme. Je n’avais rien pour moi. Je n’arrêtais pas de me répéter que dès que j’aurai 18 ans, dès que je serais partie de chez moi, tout irait mieux. Comme par magie. Cela ne s’est pas du tout passé comme ça. Je me suis même perdue en allant dans les extrêmes. Je buvais trop. Je couchais trop et avec n’importe qui.
A cette époque, j’ai pris une excellente décision en rentrant vivre chez moi. Je ne la regrette absolument pas. Je pense m’être trouvée. Chris y est sûrement en partie pour quelque chose.
Déjà avant lui, je commençais à me sentir bien moi-même. Je commençais à prendre confiance en moi. Mais lui, il m’a appris à me voir tel que lui me voyait : une fille forte, sûre d’elle, qui sait où elle va et qui sait prendre ses décisions toute seule. J’ai parfois l’impression de ne m’être jamais sentie aussi belle que depuis que je ne suis plus avoir lui. C’est une sensation bizarre.
Pendant toutes ces années, j’ai essayé de plaire aux autres alors que l’unique personne à qui je dois plaire, c’est moi-même. Et aujourd’hui, je m’attelle à ça. J’arrête d’essayer de me faire pousser les cheveux comme toutes les filles. Mes cheveux courts me vont tellement mieux. Je n’essaye plus de perdre une quinzaine de kilos, mais juste deux ou trois.

Quand je vois où j’en suis arrivée aujourd’hui, je suis assez fière de moi. Je ne suis plus la jeune fille paumée qui a l’impression de ne pas être capable de s’en sortir toute seule. Je sais que je peux arriver, même si ça sera par moment difficile. J’ai repris confiance en moi. D’ailleurs, quand ça s’est fini avec Chris, pour la première fois de ma vie, je ne me suis pas remise en question. Je savais que je n’avais rien à me reprocher. Je savais que j’avais fait tout ce qu’il fallait. J’ai grandi. J’ai mûri.
Oui, j’ai encore des angoisses et je vomis toujours. Cependant, je contrôle cela beaucoup mieux. Il est rare quand mes angoisses m’empêchent de dormir. Et vomir est moins handicapant. Je ne sais pas si je m’en sortirai un jour. Je ne sais pas si un jour cette névrose sera définitivement derrière moi. Je ne préfère pas trop y penser, mais plutôt tenter de combattre ça au jour le jour.
Je pense que ce voyage à Dublin pourra me faire beaucoup de bien. Cela me permettra de m’en sortir réellement toute seule, tout en sachant que j’ai des appuis ici en Belgique. Cela sera également une occasion d’apprendre encore un peu mieux à me connaître et de savoir ce que je veux faire de ma vie.

Après avoir écrit tout ça, je finis par me demander si j’ai aimé Chris pour ce qu’il est ou pour ce qu’il m’apportait. Je crois qu’il y a un peu des deux. Mais si aujourd’hui je veux qu’il revienne, c’est uniquement pour ce qu’il m’apportait et non pas pour ce qu’il est. Car s’il revient, je lui demanderait de changer. Et malgré tout le mal qu’il m’a fait, je n’ai pas le droit de lui demander ça.

Je suis en train de relire la partie avec Jérémie. Avec le recul, je me rend compte que s’il m’a dit un jour qu’il me rayait de sa vie, c’était pour me protéger parce qu’il m’avait très bien cerné. Ce passage m’a d’ailleurs fait sourire. Si on m’avait dit que quelques années plus tard je serais chef pio avec lui et que nous partirions au Mexique tout ensemble, je ne l’aurai jamais cru. Comme quoi, l’avenir est fait de belles surprises.
Je vais avoir l’âge que Matthieu avait quand on a commencé à sortir ensemble. Qu’est-ce que la vie est différente vue d’ici. Puis surtout, en me relisant, j’ai vraiment l’impression que je suis sortie avec Matthieu pour oublier Jérémie. Pourtant, c’est pas du tout le souvenir que j’en ai.