Journal d'une boulimique.

<< La douleur est une chose que l'on n'a le droit d'infliger qu'à soi-même. >> Boris Vian

J’écoute Scorpions. "You and I" et "Still Loving You". Ce ne sont pas vraiment des chansons qui remontent le moral et qui motivent, mais j’adore la voix du chanteur. Elle est très claire, fraiche, douce et reposante. Et ça m’empêche aussi d’entendre la voix de Jérémie qui dit "Renh, mais ça m’énerve !" ou d’autres bêtises dans le genre. Je ne comprend pas comment j’arrive à l’entendre si clairement, d’habitude j’ai un mal fou à me souvenir du son de la voix de quelqu’un. D’un côté ça fait seulement depuis samedi que je ne l’ai plus vu. Ca passera bien après. Il me faut juste un peu de temps.

Bref, si j’écris maintenant, ça n’est pas pour ça. J’ai beaucoup grossis ces derniers temps et ça me perturbe. Pendant les grandes vacances, c’était normal, je n’arrêtais pas de sortir et donc de boire. Début de l’année, c’était normal aussi, j’avais un mal fou à m’y remettre, j’étais stressée et l’histoire avec Jérôme n’a rien arrangé. Ce qui fait que j’ai eu du mal à contrôler mes crises. Au début, je ne vomissais pas. Je me battait, mais la peur de grossir à repris le dessus. Maintenant, ça va mieux. La dernière fois que j’ai vomis, c’était lundi. Pas beaucoup. Mardi, j’ai oublié de manger. Je n’en reviens toujours pas. C’est le genre de truc qui ne m’arrive jamais vu que, d’habitude je ne pense qu’à ça. Je ne sais pas si je dois voir cet évènement positivement ou pas…

"Voilà, c’est fini !" Est-ce que je pourrais, un jour, penser cette phrase et y croire vraiment ? Est-ce possible ? J’ai parfois l’impression que ça ne finira jamais. Pour l’instant, je vais mieux, mais je peux toujours rechuter, je le sais très bien.
Il y a deux ans, c’était l’enfer. J’avais déjà des problèmes avec la nourriture avant, mais c’est vraiment cette année là où ça a dégénéré. Je vomissais une à quatre fois par jour. Plus encore parfois. Quand je ne vomissais qu’une fois, c’est que ça allait et j’étais même fière de moi. Ca a duré à ce rythme là pendant environ sept ou huit mois. Le pire, c’étaient les soupers de famille ou entre amis. Comment leur cacher que je mangeais à chaque fois pour 4 à une vitesse incroyable et que je filais tout de suite après aux toilettes ? Je ne sortais presque plus, je me coupais du monde. Personne ne me comprenait, pour eux, j’étais une fille extrément sociale et bien dans sa peau.
Bien dans sa peau... Je dois quand même être une bonne actrice pour donner l’illusion que je me sente bien dans ma peau. Ca a fait un choc dans la famille quand ils ont découvert que je me faisais vomir. Personne ne m’en parlait ouvertement devant moi, mais tout le monde le savait et je voyais leurs regards braqués sur moi quand je mangeais comme pour vérifier que je n’abuse pas de nourriture. Maintenant, pour eux, je suis "guérie" et hors de danger donc il n’y a plus de soucis.

Ce qui me manque le plus dans ma vie, c’est de ne pas éprouver du plaisir à manger. Je voudrais tant pouvoir être comme tout le monde et savourer quelque chose lentement, sans sentir le besoin de me presser de tout engloutir pour aller le vomir après, sans penser aux kilos en trop que cela risque de m’apporter. Juste savourer. Je voudrais aussi manger que quand j’ai faim comme tout le monde et non quand j’ai une sorte de boule d’angoisse dans le ventre qui m’obsède et m’empêche de me concentrer sur autre chose. La nourriture m’emprisonne et je voudrais tant m’en libèrer.
Quand les gens mangent, ils ne réfléchissent pas à ce qu’ils font. Pour moi, tout est calculé. Si je compte vomir après, je bois beaucoup d’eau parce que ça me fait moins mal à l’eosophage quand tout remonte. Je sais quels aliments sont faciles à vomir et ceux qui le sont moins. Si je veux manger normalement, il faut que je me serve en dernier (si possible) ou commencer mon assiette après les autres ou (si je commence avant tout le monde) quitter la table dès que j’ai fini de manger pour ne pas avoir la tentation de me servir encore une fois , boire de l’eau (mais sans exagération aussi non je serais tentée de me diriger vers les toilettes) et manger lentement.

Je voudrais tant arrêter d’avoir peur des repas !

« Une boulimique est grosse parce qu’elle mange énormément, elle mange vite, toujours, sans réfléchir, jamais, en engloutissant des grosses poignées de n’importe quoi pourvu qu’elle ait la bouche pleine. Une boulimique ne mâche pas a nourriture, elle la gobe, une boulimique ne connaît pas le sentiment merveilleux de satiété : celui qui fait que l’on se dit à un moment du repas : « je n’ai plus faim ». Une boulimique serait d’ailleurs bien incapable de dire si elle a trop mangé ou si elle a encore faim. Son acte n’est stimulé en rien par le besoin physique et naturel de se nourrir mais par un désir purement intellectuel de se « remplir », et ce pour des raisons diverses et variées qu’elle ne s’explique pas très bien.

Une anorexique est maigre parce qu’elle a arrêté de manger. Et si elle a arrêté de manger, c’est parce qu’elle n’a plus faim, plus jamais. Son corps, lui semble-t-il, n’a plus besoin de rien. Mais comme elle vie en société et que son aspect physique commence à faire peur à son entourage, tout le monde voudrait qu’elle mange. On lui tend des cuillères débordantes de crème et des fourchettes pleines de viande. Alors elle se rend compte que non seulement elle n’a pas faim, mais qu’en réalité tout cela la dégoûte au plus au point. Rien que l’idée de faire passer dans son tube digestif une seule de ses substances lui fait horreur, et ce pour des raisons diverses et variées qu’elle ne s’explique pas très bien non plus.

Une boulimique-anorexique est un être hybride. Elle n’est ni grosse ni maigre. Certes, elle se trouve toujours trop grosse, mais les autres eux la trouvent normale, tout à fait normale. C’est donc une maladie très facile à cacher au reste du monde, car son aspect physique ne la trahit pas. En France, une femme sur cinq est ou a été boulimique-anorexique, jugez donc de la banalité de la chose. »